Au menu aujourd’hui, deux spécialités culinaires des Îles Britanniques qui tirent leur nom du français et dont les méandres étymologiques sont plutôt sinueux !
La longue histoire du pudding
Commençons par l’emblématique PUDDING, pilier de la cuisine britannique, sans qu’il soit fait référence ici à sa solidité, et dont l’origine remonterait au moins au XVe siècle !
Il s’agit en fait d’un terme générique* qui désigne une préparation compacte à base de céréales (farine, pain, porridge…), d’œufs (mais pas toujours), de graisse animale ou végétale et de divers autres ingrédients, cuite au four, à la vapeur ou au bain-marie. Car derrière le pudding se cache en fait une grande famille de mets qui se déclinent aussi bien en version sucrée que salée.
Les variantes sucrées et salées du pudding
Côté dessert : la variation incontournable de Noël, le Christmas pudding ou plum-pudding, apparue sous l’ère victorienne (1837-1901), qui se prépare traditionnellement le dernier dimanche de l’Avent – le fameux Stir Up Sunday ; le caramel custard pudding qui s’apparente à un flan ; le spotted dick (avec du suif !) à l’étymologie un peu douteuse, mais nous y reviendrons peut-être ; le Summer pudding (du pain de mie, des fruits rouges et leurs jus, tout simplement)… la liste est quasi sans fin…
Côté salé : le Yorkshire pudding qui accompagne le roastbeef du Sunday Roast en portions individuelles ; le groaty pudding à base de gruau ; le hasty pudding connu aujourd’hui dans sa version états-unienne, mais des documents attestent de son existence au Moyen Âge dans des concours de nourriture ; le red pudding à base principalement de porc ; le white pudding à base de viandes, de gras et de pain moulé en forme de grande saucisse (du boudin blanc, quoi !) et le fameux black pudding, du boudin noir, donc…
Une étymologie charcutière
Et c’est ici que son étymologie première est mise à nu : le pudding, c’est du boudin ! Le mot français boudin, issu lui-même du latin botellus, qui nous a aussi donné le terme boyau, désigne une « petite saucisse ». En effet, rappelons-le si besoin : le boudin noir est un boyau rempli de sang et de graisse de porc, le tout bien assaisonné. Au Moyen Âge, on parlait d’ailleurs de « saucisse de sang » (expression restée en américain moderne et en allemand (die Blutwurst)). Le terme boudin/pudding s’est donc largement répandu pour désigner un mélange d'ingrédients, cuit dans les entrailles d'un animal comme le mouton, le porc ou la brebis.
Sucré-salé, comprenant de la viande et des fruits secs, le pudding était donc un plat complet, (équilibré ?) bouilli. C’est ce mode de cuisson qui permettait justement de conserver la viande. Aux XVIIIe et XIXe siècles, le pudding, composé de farine et de graisse de rognon, était même servi comme plat principal à bord des bateaux de la Royale Navy.
Le custard : entre tradition et évolution
S’il vous reste encore un peu de place pour le dessert, passons au custard**, la délicieuse crème anglaise… accompagnement parfait d’un… pudding ! Comme pour ce dernier, le custard est un terme générique désignant tout type de crème préparée à partir de lait et d’œufs – la base – mais aussi de farine, d’amidon, de fécule ou de gélatine, et consommée en dessert si l’on y ajoute du sucre. En fonction de la recette, sa consistance varie donc de la sauce liquide (« notre » crème anglaise) à la thick pastry cream (« notre » crème pâtissière) utilisée en pâtisserie pour fourrer des choux, des éclairs, un mille-feuille ou concocter un soufflé sucré et bien d’autres choses encore. Quand on lui ajoute de la gélatine, on parle de « crème anglaise collée » qui entre dans de nombreuses compositions telles que les bavarois, les charlottes, les puddings (encore eux !).
La plupart du temps, les custards sont donc utilisés dans des desserts, comme dans le fameux trifle, so régressif, mais comme pour le pudding, on trouve aussi des savoury custards, par exemple dans des quiches.
Le custard, c'est pas de la tarte !
Voilà le lien tout trouvé pour aborder son étymologie : sous le custard se cache une croûte, de très bon goût, celle-là, du moins espérons-le. Car custard, en effet, vient du vieux français croustade, qui provient lui-même de l’occitan et du catalan crostada (croûte), qui a donné crustarde en anglais de la fin du Moyen Âge, puis custarde et custard. Le mot crust (croûte en anglais) a d’ailleurs la même origine.
Les custards cuits dans une pâte (custard tarts) étaient très populaires au Moyen Âge. Citons par exemple les recettes de Crustardes of flessh et de Crustade, mentionnées dans The Forme of Cury, un livre de cuisine rédigé en moyen anglais à la fin du XIVe siècle. Ces préparations consistaient en une pâte garnie de viandes ou de fruits liés dans une sauce épicée ou sucrée épaissie avec des œufs.
On retrouve même au XVe siècle des stirred custards cuits dans des pots sous les appellations de Creme Boylede et Creme boiled (crème bouillie). Certains custards, en particulier sous l’ère élisabéthaine (1558-1603), incorporaient des pétales de souci (calendula) pour leur donner une belle couleur jaune.
Là encore, c’est par analogie que le terme custard n’a plus désigné la pâte, mais l’appareil (à base d’œufs) qui s’est émancipé de son fond… À tel point qu’aujourd’hui le nom custard est parfois associé à des préparations épaissies à l’amidon ou avec de la gélatine, comme le blancmange (prononcez « blanc-manger » avec l’accent de Jane Birkin) ou la poudre Bird's Custard, inventée par un pharmacien à Birmingham et qui ne contient, elle, aucun œuf, un comble !
Question subsidiaire : la crème anglaise est-elle donc vraiment anglaise ?
Réponse : Non, elle est ancestrale ! Ses origines remonteraient à l’Antiquité puisqu’on a retrouvé des recettes combinant œufs et laitages sous le nom de tyropatinam dans le livre de Apicius De Re Coquinaria, au Ier siècle de notre ère.
En voici la recette : Accipies lac. Adversus quod patinam aestimabis, temperabis lac cum melle quasi ad lactantia, ova quinque ad sextarium mittis, si ad eminam, ova tria. In lacte dissolvis ita ut unum corpus facias, in cumana colas et igni lento coques. Cum duxerit ad se, piper aspargis et inferes.
Traduction sommaire : Tu prendras du lait. Tu mélangeras le lait dont tu estimeras la quantité en fonction de la taille du plat avec le miel comme pour faire un entremets, tu mets cinq œufs dans un setier**, ou trois œufs dans un demi-setier. Tu les mélanges dans le lait de façon à obtenir une préparation homogène, tu la filtres dans la passoire et tu la fais cuire à feu doux. Quand elle aura durci, tu la saupoudres de poivre et tu la serviras.
Conclusion : des délices aux racines anciennes et multiculturelles
Ainsi, par un curieux glissement de sens, les termes pudding et custard ne désignent plus, l'un l'emballage, l'autre la base, tous deux destinés à assurer la préservation et la cuisson, mais ce qu'ils renferment ou portent. Leurs origines latines, via le français, témoignent des échanges culinaires et culturels à travers les siècles. L'étymologie de ces deux symboles de la cuisine britannique révèle donc des liens anciens avec les autres cultures et langues européennes. Savoureux, non ?
* Aux États-Unis, le mot pudding désigne même l’ensemble des desserts (flans, riz au lait, crèmes, etc.).
https://en.wikipedia.org/wiki/Pudding?oldid=96453614
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cuisine_m%C3%A9di%C3%A9vale
https://francevegetalienne.fr/plats-du-monde-aims-en-france/tag/pudding
https://www.leshardis.com/2022/10/cuisine-anglaise-francaise/
** Le nom masculin custard est passé en français et existe en québécois sous la variation féminine costarde.
*** Mesure pour les grains (entre 150 et 300 litres).
https://en.wikipedia.org/wiki/Custard
https://fr.wiktionary.org/wiki/custard
https://www.cnrtl.fr/definition/dmf/BACONNIER
http://pasilyon.free.fr/monographies/Mono06/69CZola-LStExupery/Projet%20cuisine%20latine%20traduction%20tyropatina.htm